Trois moments, dans ma vie d’autrice, qui m’ont donné envie d’un syndicat

Pour ceux qui ne font pas partie de l’industrie, il faut savoir que l’Union des écrivains québécois (UNEQ) a obtenu récemment le droit au statut de syndicat. Depuis que la question d’une cotisation a été évoquée, les auteurs se divisent en trois camps : ceux qui embarquent dans le projet, ceux qui ne veulent rien savoir, et ceux qui désirent prendre plus de temps et explorer différentes possibilités.

Je fais partie du premier groupe, et si l’envie de débattre m’a quitté assez rapidement après le début des discussions, j’ai tout de même envie de partager avec vous les trois cahots de mon parcours qui ont fait pencher, pour moi, la balance.

Moment #1 : la faillite de Courte Échelle.
En 2015, lorsque la Courte Échelle a fait faillite, je n’étais pas rendue bien loin dans ma carrière, et l’événement s’est abattu sur moi comme une bombe. Mes quatre derniers livres y avaient été publiés, et les trois prochains, déjà écrits, y étaient prévus. Au milieu de cette catastrophe, l’UNEQ a été un bienvenu phare dans le brouillard. Ils nous ont informés des possibilités, de nos droits, des ratés du système qui rendaient certaines clauses de nos contrats invalides. Ils ont débroussaillé les textes de loi et assisté aux négociations du rachat pour faire entendre notre voix à travers celle des créanciers et des banques. Surtout, ils m’ont fait sentir que je n’étais pas seule dans la tempête. Je leur en suis, pour toujours, reconnaissante. On n’est jamais à l’abri d’une catastrophe du genre.

Moment #2 : la réception d’un contrat inacceptable
C’est une pratique étonnamment courante dans le milieu : on s’entend avec un éditeur, puis on se met au travail, sans contrat. Je sais, c’est une mauvaise idée, lancez-moi la première pierre. La plupart du temps, le contrat finit par arriver, on le signe et tout le monde est content. Mais en 2018, j’ai reçu un contrat dont les conditions étaient en dessous de la normale. Les droits d’auteurs à partager entre l’illustratrice et moi s’élevaient à 8% plutôt que le 10% d’usage. « Non négociable » m’a dit l’éditeur, c’était les normes de la maison. Je suis repartie avec mon manuscrit sous le bras, alors que je l’avais écrit spécifiquement pour eux. Je me suis surtout demandée ce qui empêcherait cet éditeur (et les autres) d’offrir 7%, puis 6% si certains auteurs acceptaient de signer. Les conditions de travail que nous tenons pour acquis ne sont protégées d’aucune façon. C’est la servante écarlate, version droits d’auteurs.

Moment #3 : le lendemain de la hausse des tarifs de Culture à l’école
Ce n’est pas un secret pour ceux qui me suivent depuis longtemps : j’ai participé à l’effort pour qu’augmentent les tarifs payés par le programme culture à l’école. Après deux ans de lobbying, les honoraires payés aux auteurs ont enfin été indexés à l’inflation l’année dernière, mettant fin à un gel de 25 ans. J’étais ravie, euphorique. Le travail avait porté fruit et pourrait bénéficier à tous. Pourtant, dans les médias sociaux, les auteurs pour lesquels je m’étais battue se plaignaient. Certains considéraient que la hausse obtenue n’était pas suffisante, d’autres s’inquiétaient qu’un nombre accru de demandes soient refusées. Tant de travail pour ne ramasser que des plaintes. Je n’ai jamais été aussi fâchée de ma vie. J’ai appris ce jour-là à quel point la politique est une occupation ingrate. J’ai perdu, possiblement à tout jamais, l’envie d’en faire à nouveau. Et comme pour mes impôts, je me suis dit que je serai prête à payer quelqu’un pour le faire à ma place.

Fin des anecdotes. Pour des raisons de santé mentale, il ne sera pas possible de publier des commentaires sur ce billet.